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Submitted by Claude Beaunis on 10/04/12 – 15:21

DYSLEXIE ET LECTURE

Les meilleurs enseignements en lecture et la recherche en neurosciences doivent se rapprocher et collaborer autour des modalités d'apprentissage de la lecture/écriture qui permettent aux enfants - en particulier les plus fragiles ou divergents- de devenir « prisonniers de l'outil » ; en d'autres termes, non pas de vrai "lecteurs", mais des "déchiffreurs".
Selon notre expérience, on retrouve ce genre de démarche en particulier dans la méthode naturelle pour laquelle il n'y a de présupposé ni phono-syllabique ni purement global, et qui intègre les processus de recherche et les modalités d'apprentissage des sujets.

Mais aucune contribution ne peut être négligée : l'alphabétisation populaire de Paulo Freire tout comme les conceptions de Smith et Foucambert à propos de la lecture, ainsi que les recherches de Ferreiro et Teberosky.

Depuis quelques années, nous lisons dans les journaux et autres médias que l'augmentation des cas de dyslexie et des difficultés d'apprentissage seraient liées à la méthode utilisée principalement à l'école, ou que cette méthode accroitrait les difficultés, pointant la méthode globale comme cause principale de l'augmentation des échecs dans la population scolaire.
L'effet, sur de nombreux enseignants, est un retour aux techniques d'alphabétisation considérées comme plus «simples» et plus «sûres», mais elles appauvrissent et rendent triviale l'expérience fondamentale de la rencontre avec le code écrit.
L'un des termes du débat semble avoir disparu : jusqu'aux années 70 on discutait des méthodes d'apprentissage de la lecture et de l'écriture entre les partisans de la méthode phonétique (les «briques» de la construction linguistique, on n'abordait le sens qu'après avoir appris à recomposer des mots et des phrases) et les partisans de la méthode globale (le sens tout de suite, puis les mots et phrases). Aujourd'hui, semble prévaloir la correspondance grapho-phonologique et l'assimilation de la «forme» des mots.
Il manquait, à ce moment-là, le résultat des recherches sur la construction de la langue écrite conduites, en Argentine et au Mexique, par Emilia Ferreiro et Ana Teberosky au milieu des années 70, dont nous disposons désormais.
Emilia Ferreiro stigmatise les méthodes d'enseignement de la lecture qui rendent cet apprentissage difficile et instable, parce qu'elles partent de la présentation des lettres et des syllabes.
Beaucoup d'auteurs, depuis Freinet, avaient fait la remarque selon laquelle, si on appliquait une progression analogue pour l'apprentissage de la langue parlée, personne n'apprendrait à parler.
Ferreiro considère comme un grave manque de respect, à l'égard des procédures de recherche des enfants dans la période de construction de la langue écrite, le fait de ne pas prendre en compte l’existence de différentes phases et ne pas considérer que ces procédures mettent en évidence des phases transitoires, phases qui sont souvent confondues avec des signes de pathologie et non comme la manifestation de processus de pensée.

«Souvent, on fait le diagnostic de troubles d'apprentissage selon le modèle adulte sans prendre en compte l'évolution ... Nous avons vu trop de pathologies là où il y a des manifestations normales du développement et des problèmes légitimes que votre enfant essaie de résoudre. Je considère que "dé-pathologiser" ce domaine est urgent. Je ne nie pas qu'il existe des difficultés d'apprentissage, mais il y a sûrement moins de maladies que celles que nous avons contribué à inventer, validant, du point de vue du diagnostic psychologique, une orientation scolaire qu'il est nécessaire de remettre en question ». (E. Ferreiro,...., p. 36-37)

Giacomo Stella dans les années 80 distinguait les vrais dyslexiques des mauvais lecteurs, lecteurs dont les pratiques de lecture ont été insuffisamment encouragées et soutenues en tant que recherches autonomes sur le fonctionnement de l'écrit, et toujours soumises à sonorisation suivie de synthèse (fusion), lente et laborieuse.
Ferreiro approuve et corrobore ce que Jean Foucambert, de l'Association Française pour la Lecture, avait montré (dans «La manière d'être lecteur) à propos de la dyslexie comme trouble du déchiffrage et non de la lecture.
Le déchiffrage, dit Foucambert, passe nécessairement par l'oralisation qui entraine un temps d'exécution plus long. C'est pourquoi les sujets qui font péniblement les correspondances signes-sons ont plus de difficultés à établir des relations entre les éléments du discours, et donc à extraire le sens d'un texte.

Foucambert soutient aussi que la réussite en lecture et en compréhension est liée à la connaissance préalable d'au moins 80% des termes contenus dans le texte.
Cela nécessite, de la part des enseignants, d'apporter un soin particulier au choix des «bons» textes adaptés aux compétences sémantiques, lexicales, et au monde des apprentis lecteurs.

Bruno Bettelheim dans "La lecture et l'enfant» a soigneusement analysé les manuels en usage, concluant qu'ils contenaient de nombreux termes désuets ou inconnus et des niveaux de platitude à faire perdre tout intérêt pour la lecture même à des enfants intelligents et curieux, empêchant ainsi à beaucoup d'entre eux l'accès aux apprentissages de base.

Bruno Ciari a écrit «La grande inadaptée» faisant allusion à l'école. Aujourd'hui, la crainte est qu'au lieu de réfléchir à la façon de «guérir» l'école en la transformant, on recherche plutôt les manques, les carences, les inadaptations, pour traiter les sujets sans disposer de la patience, du temps, des outils nécessaires, sans chercher à comprendre, sans investir dans la formation et la recherche.

Le problème de la dyslexie, de la dysorthographie, de la dyscalculie (les «DYS» ou "Troubles Spécifiques des Apprentissages") n'est pas nouveau en Italie et vient périodiquement faire partie des préoccupations des enseignants et des familles : nous nous souvenons tous du livre de Pirro, un journaliste qui a lutté pour aider son fils, se sentant abandonné par les institutions ; souvenons-nous également des textes comme ceux de Jadoulle, Bonistalli et ceux du MCE florentin dans les années 70 (qui avait identifié, non seulement dans le domaine de la perception, mais aussi dans des pratiques psychomotrices adaptées, des types d'interventions à la fois humaines et significatives), les tests de Frostig, les hypothèses de Doman et Delicato, les travaux de Giacomo Stella. Se créent également des associations familiales comme l'AID (Association Italienne pour la Dyslexie). Au CEIS (Centre Educatif Italo-Suisse) de Rimini est mis en place un service spécialisé dans le traitement basé non seulement sur l'utilisation de fiches de remédiation, mais aussi sur le schéma corporel, sur la représentation et la coordination motrice spatiales, sur l'intériorisation des schémas posturaux et grapho-moteurs.

Sous le ministère Moratti on donne aux familles le sentiment que le problème est identifié et qu'il peut être appréhendé en coordonnant les écoles et les différents services, mais la plupart des diagnostics et des interventions sont confiés à des services privés et l'orientation du travail mené à l'école consiste à en assumer les indications thérapeutiques (comme si une relation de type clinique et une intervention dans le contexte d'une classe pouvaient être la même chose). Avant tout, on permet aux familles et aux écoles l'accès aux "documents" et l'utilisation des outils de médiation et d'intégration. Mais ceux-ci s'avèrent insuffisants sans formation adéquate, sans incitation à proposer davantage de stimulations, sans apprentissage multimodal, et si cette approche n'est pas étendue à l'ensemble des conceptions et des stratégies d'apprentissage en vigueur dans une classe. En substance, si l'enseignement est essentiellement verbal, s'il s'appuie sur le manuel et ne se transforme pas en profondeur pour permettre à l'apprenant l'élaboration de connaissances par le biais des relations sociales, par la recherche personnelle et la constante remise en question de ses modèles grâce au soutien et aux apports de l'enseignant et du groupe, l'élève en difficulté ou possédant de mauvaises dispositions à la base devra toujours accomplir des efforts surhumains pour suivre le rythme imposé à la classe.
Les circulaires «dérogatoires», faute d'être accompagnées d'indications pédagogiques appropriées, conduisent à valider, pour les enfants en difficulté, le droit à une connaissance "limitée" alors qu'il leur faudrait une augmentation des stimulus et une fréquentation scolaire assortie d'observations pertinentes à partager entre les différents éducateurs. Ces dérogations, en les privant d'école, peuvent conduire à l'affaiblissement de l'estime de soi, créer de la dépendance, réduire l'autonomie, alors qu'il s'agit d'agir sur la base des potentialités existantes et de la propre reconnaissance de ses compétences (voir Varisco, "Le portfolio", Carocci).
À une certaine époque les non-voyants étaient dispensés d'écriture en mathématiques, car on pensait qu'ils ne disposaient pas d'intelligence spatiale. Aujourd'hui, nous avons des non-voyants mathématiciens et informaticiens (la première non-voyante en Europe, diplômée en informatique et ayant obtenu un doctorat avec d'autres candidats voyants, est originaire de Toscane).
Une recherche conduite aux États-Unis a signalé que les non-voyants risquaient de devenir analphabètes parce que «dispensés» de Braille (seulement 10% le connaissent et le pratiquent), et le risque est le même en Italie.

Peut-être (face au déploiement d'un tel outillage scientifique aujourd'hui) les enseignants craignent-ils de faire des erreurs, nourrissent-ils le sentiment de ne pas être en mesure de répondre totalement aux attentes des familles, et confient souvent leur tâche aux spécialistes, renonçant à la fonction de guider, d'orienter, promouvant un apprentissage cognitif, renonçant à un approfondissement de leurs compétences didactiques, avec un retour au «simple» et au technique.

Ainsi, on a des enfants qui, après l'école, fréquentent le "rattrapage" en lecture, jusqu'à une heure par jour, dans des situations de type clinique ambulatoire - enfant et adulte- qui font abstraction des aspects relationnels, affectifs, ainsi que de la communication entre enfants, aspects intrinsèques à la lecture elle-même dans la mesure où elle n'est pas être réduite à une simple technique.
Le coût pour les familles est élevé car cela exige de s'en remettre à un certain nombre de techniciens, orthophonistes, psychomotriciens, neuropsychiatres, psychologues, et la participation de ces techniciens à des groupes de travail au sein des écoles fait aussi partie des frais.

Pourtant, la même recherche qui a considéré le phénomène de la dyslexie comme, en grande partie ou totalement, neurologique laisse entrevoir la possibilité et avance l'hypothèse selon laquelle la dyslexie puisse être l'effet et non la cause de mauvaises habitudes en lecture ainsi que l'ont soutenu Stella et Ferreira.

Oliver Sacks nous parle de la «mystérieuse capacité du cerveau à apprendre, à s'adapter et se développer». Une vision statique de la dyslexie considérée comme une anomalie de naissance, biologiquement déterminée, n'est peut-être pas la meilleure des approches ni la plus utile à une prise en charge des problèmes des enfants.
Quand la science, une science particulière, est trop sûre de certaines de ses visées et ne se confronte pas à d'autres positions, hypothèses, pratiques, elle semble passer à côté de son aspect fondamental qui est recherche, confrontation, doute. Recherche pas seulement de causes hypothétiques, mais de la manière de «contourner l'obstacle», de transformer un problème en ressource.

C'est la raison pour laquelle la méthode naturelle, grâce aux multiples stratégies qu'elle met en œuvre, nous apparait comme une réponse à de nombreux doutes et angoisses, une réponse ouverte et pouvant être soutenue d'un point de vue humaniste.

Giancarlo CAVINATO

(traduit du texte italien par Léonard De Leo)