Gespeichert von Michel Mulat am Do., 20.09.2018 - 14:12

 

Correspondance internationale

l'année de l'émission du timbre Célestin et Élise Freinet

La classe hors les murs, une ouverture sur le monde, vers les autres. Sans doute est-ce là, historiquement, la première « technique » mise en place et préconisée par Freinet, avant même l'imprimerie. Sortir, visiter, rencontrer, enquêter, interroger, tout un travail d'ethnologie mis à la portée d'enfants très jeunes afin qu'ils comprennent leur entourage. L'imprimerie permettra de mettre en forme le résultat de ces enquêtes, et de les communiquer à l'ensemble de la classe, puis de les envoyer dans un réseau qui commence à s'organiser dès 1924 avec déjà des classes hors frontières.

La correspondance a commencé par l'envoi de textes libres, puis, ces derniers une fois reliés entre eux, de journaux. La correspondance est née « naturelle1 » en ceci que les journaux sont envoyés à des réseaux constitués rapidement d'une vingtaine de classes. La correspondance classe à classe ne s'est mise en place que progressivement.

Tous ces réseaux pratiquent-ils la pédagogie Freinet ? Ils visent d'abord à faire adopter l'imprimerie et donc le texte libre. Parallèlement à la correspondance scolaire se met en place une correspondance entre enseignants afin d'échanger des expériences, lesquelles alimenteront sous forme d'articles les revues pédagogiques successives.

Les écoles rurales sont pauvres et n'ont pas les moyens financier pour voyager. Il est donc de première importance de se questionner mutuellement entre écoles, de s'envoyer des spécialités locales (fromages, figues, olives...), de décrire des coutumes et pratiques, de s'échanger photos, enregistrements sonores et films.

De l'Espéranto.

La priorité, du temps des pionniers de l’École Moderne, est donnée au dépaysement. On choisit de correspondre avec une région ou un pays éloigné pour élargir le champ de ses connaissances. On va vite être confrontés à la question des langues. Peut-on écarter de la correspondance l'ensemble des pays qui constituent l'URSS, à l'époque porteurs d'un idéal politique pour une grande partie des enseignants ? Freinet parcourant la Russie du nord au sud en 1925, a établi des contacts qu'il souhaite entretenir et multiplier. Alors est adopté l’Espéranto qui va devenir la langue de communication internationale dans le mouvement, afin que nulle civilisation ne soit privilégiée au détriment des autres.

Jusqu'en 1982, les écrits pédagogiques, sont avant tout destinés aux francophones. Mais déjà à partir de 1968, dans les rencontres internationales, on pratique de moins en moins l'Espéranto. On adoptera progressivement le principe des traductions en trois langues européennes, toujours en vigueur aujourd'hui, ce qui va diminuer sensiblement le temps de la communication orale. Sont exclus les lusophones pourtant très nombreux.

Pourtant en 2018, les langues, dans leur diversité, ne devraient plus être un obstacle à la communication écrite (et prochainement orale). La pratique de la correspondance internationale m'avait déjà décomplexé  depuis longtemps : on trouve presque toujours dans une classe, un enfant, un parent, et dans l'école un enseignant, susceptibles de traduire, surtout lorsqu'on fait de la communication une priorité, et qu'on laisse la pureté grammaticale à ceux qui veulent faire carrière dans l'interprétariat.

En 2018, si on utilise un traducteur automatique approprié sans omettre de placer sous la langue traduite, la langue originale du message, on parvient à se comprendre. Les plus consciencieux vérifieront leur traduction en utilisant deux correcteurs distincts et en inversant la traduction pour vérifier. Et n'oublions pas que nous revendiquons les mêmes valeurs de collaboration, alors, cherchons ensemble, entre correspondants.

En 2018, ne nous inscrivons pas pour correspondre dans une langue précise, mais pour échanger avec celles et ceux qui nous dépayseront. Adoptant ce mode de fonctionnement, ce n'est qu'une fois le choix opéré d'une région, d'un pays,que sera défini le projet commun, dont le moyen de communication fait partie. Revenir à une seule langue aujourd'hui que l'espéranto a quasi disparu, supposerait d'imposer l'anglais.

Que cache le choix de la langue anglaise ?

Remplacer l’Espéranto par l'Anglais. Ce n'est pas politiquement défendable. Ce n'est pas dans nos valeurs que de soutenir un impérialisme en train de se constituer planétaire. La valeur « profit » n'est pas dans notre charte. Pourtant choisir une langue, c'est choisir une civilisation, celle qui en l'occurrence s'est donné pour mission impérialiste de dominer le monde, militairement, politiquement, économiquement, allant jusqu'à modéliser insidieusement nos goûts artistiques.

Pour un grand nombre d'enfants le flic des séries policières, scénarisées par des logiciels, assénées jour après jour sur les écrans de télévision, devient le modèle à imiter. Il est donc naturel de faire de l'anglais la première langue obligatoire dans toutes les écoles du monde. Le choix d'une langue n'est pas neutre.

Choisir librement ses correspondants, mais que pouvons-nous échanger et comment ?

Des types de correspondance, historiques ou adaptés au monde moderne.

Au début et jusqu'à une période encore récente, on ne connaissait que le courrier postal. Freinet ne cesse de chercher des dérogations pour en faire baisser le prix. Des circulaires sont glissées dans des journaux, pour éviter un timbre supplémentaire et bénéficier d'un tarif moindre. Nombre de facteurs ferment les yeux, mais les tricheries sont dénoncées dans certains bureaux de poste.

Dès 1926, se met en place un réseau d'échange de films Pathé-Baby qui vont permettre aux enfants comme aux enseignants de faire connaissance, qui vont montrer des séquences de labour, de cueillette, la vie au bord de la mer, dans la campagne. Ces films ont tellement circulé que peu d'entre eux nous sont parvenus.

Des échanges privilégiés ont lieu entre deux classes, nous l'évoquions en introduction, mais Freinet a préféré d'emblée organiser des réseaux afin de faire rentrer la correspondance dans les apprentissages. « Tu as un chat, moi aussi ! » « J'ai un petit frère et trois sœurs.» On a vite épuisé le sujet et perdu toute motivation ! Par contre lorsqu'on envoie une série de textes libres choisis par un enfant pour un correspondant bien défini, un seul désigné par classe, mais en réseau, on constitue dans chaque école une véritable bibliothèque enfantine. La correspondance ne s'arrête jamais puisque chaque classe possède une vingtaine de correspondants. Cette correspondance baptisée « naturelle » dans les années 70, est extrêmement riche. « Avez-vous des traces historiques près de l'école ? ». « Comment allez-vous à l'école ? » « Sur quel projet travaillez-vous actuellement ? ».

Si aujourd'hui, dans de nombreux pays les Postes ont perdu de leur fiabilité, quand elles n'ont pas totalement disparu, cela ne doit pas nous empêcher, en changeant de support, de nous inspirer d'expériences qui par le passé ont été riches d'enseignement. Pour contourner ce problème de perte de courriers, j'ai personnellement utilisé la valise diplomatique, un moyen de correspondance sécurisée pratiqué par les consulats et ambassades. La loi l'interdit maintenant aux non diplomates. Mais toute loi comporte des exceptions. On est sûr de ne rien obtenir quand on ne le demande pas avec insistance. Il suffit d'un accord spécial entre deux gouvernements et d'accepter que les colis soient ouverts pour vérifier qu'ils ne contiennent ni armes ni drogue.

On peut toujours échanger du son et des images. Cela permet de savoir à qui on s'adresse, d'apprendre à se connaître. Portraits photographiques. Portraits peints ou dessinés. Vidéogrammes réalisés avec une caméra ou un simple téléphone portable.

Nous avons intégré progressivement les progrès de l'électronique et de l'informatique en passant du téléphone, au fax, du minitel au courriel, pour arriver aux sites web. Ces derniers nous offrent des possibilités que nous sommes encore loin d'avoir toutes explorées. Toute classe qui possède un site sous forme de blog, ou plus élaboré, peut partager des pages avec une autre classe ou un réseau de correspondants. Trop peu utilisent les webradios : elles sont faites pour diffuser des informations, dès la maternelle, mais elles peuvent aussi permettre de réaliser un journal ensemble, à plusieurs classes.

Pour autant correspondre avec les autres ne procède pas de l'exhibitionnisme mais de l'échange. Le « J'aime » de facebook me paraît à bannir dans la mesure où cela procède d'une démarche qui consiste à définir un territoire et faire rentrer un maximum de personne dedans sans chercher à les connaître.

Internet nous offre un nouvel outil pour correspondre, mais aussi pour travailler ensemble. C'est l'objectif des Classes Virtuelles Coopératives (CVC). Nous ouvrons un réseau pour ceux qui souhaitent apprendre à fabriquer et à étudier des images sur tous supports. D'autres pourraient accueillir des CVC de journalistes analysant ensemble un même événement, comme nous l'avons fait par le passé.

De quelques précautions.

Choisir avec ses correspondants un support approprié et un moyen de traduction reste sans doute la première démarche à entreprendre une fois qu'on s'est choisis. Cependant ce n'est pas suffisant. Tous les échecs qui nous ont été rapportés nous incitent à formuler quelques règles.

Une correspondance établie dans le cadre scolaire doit être contrôlée. Une lettre fermée peut comporter des propos racistes ou injurieux, comme un courriel personnel. Faire traduire des textes lorsque nous ne sommes pas en capacité de les comprendre, avant de les livrer à la classe. Quel que soit l'âge des enfants, veiller à ce qu'il y ait un contenu. Une fois que chacun sait quel animal de compagnie possède la famille de son correspondant on n'a plus rien à se dire d'intéressant.

Mais avant toute chose accuser réception et annoncer ses intentions, quelles qu'elles soient. « Nous avons bien reçu votre courrier et nous vous répondrons le mois prochain, ou seulement à la fin de l'année parce que... » Procédant ainsi vous rassurez et créez une attente qu'il ne faudra pas décevoir. Lorsqu'on a préparé pendant plusieurs jours un envoi et qu'on ne sait pas ce qu'il est devenu, on n'a pas envie de continuer. Ne pas oublier les décalages entre périodes scolaires et en particulier lorsqu'on échange avec des écoles de l'hémisphère sud. Ne pas oublier non plus les décalages horaires dans le cadre d'échanges téléphoniques.

La correspondance utilisant le support internet doit tenir compte des contraintes techniques. Lorsque le débit est faible, configurer sa messagerie en .txt et non en .html. On n'aura pas un belle présentation, mais notre interlocuteur pourra lire le message. Éviter les fichiers joints aussi bien dans les courriels que dans une page web. Si les fichiers joints sont acceptés, les regrouper en les zippant (7zip est gratuit) et limiter leur poids, sans oublier de tester.

Tout le monde n'a pas l'électricité, nous répètent les Européens en pensant « aux pauvres Africains » ! L'expérience m'a démontré qu'un message envoyé au même moment dans un village d'Afrique reculé, et à des enseignants français, allemands ou suisses, reçoit généralement une réponse plus rapidement d'Afrique que d'Europe. Les plus défavorisés ne sont pas les plus démunis en imagination et stratégies de contournement des difficultés. Aucun obstacle ne saurait empêcher deux classes de correspondre lorsqu'elles ont la ferme volonté de le faire. Il suffit d'abord de s'entendre ensemble sur les modalités.

Michel

1Nous y revenons dans le chapitre sur les « types de correspondance.