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Publié par l'Obs le 08 novembre 2018 à 06h43

Les positions se tendent autour de la question de l'apprentissage de la lecture. Convaincu que l'école française n'enseigne pas correctement à lire, le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer a fait du dossier une priorité et met la pression sur les professeurs des écoles pour qu'ils adoptent une méthode strictement syllabique centrée sur le décodage - le fameux b.a.-ba - méthode qu'il juge la plus efficace, "au vu de la science et des comparaisons internationales".
L'ensemble des syndicats représentatifs des enseignants du premier degré, mais également les mouvements pédagogiques et la principale fédération de parents d'élèves - la FCPE - y voient au contraire un retour en arrière funeste. D'où cette tribune que "l'Obs" publie en exclusivité.
"A cette rentrée, le ministre, sous couvert d'avancées scientifiques, d'un bon sens et d'une simplicité enfin retrouvés qui séduisent l'opinion, entreprend de modifier en profondeur les fondements de l'école. Il en oublie des pans entiers de la recherche, et le dialogue pourtant capital avec la communauté éducative. Le résultat en est un appauvrissement dramatique des finalités et des objectifs que l’Ecole doit se donner pour répondre aux enjeux.
La réécriture des programmes imposée pendant l'été et la mise en place d'évaluations standardisées au CP et au CE1 visent à imposer sa conception de l'école basée sur une approche technicisée des apprentissages où tout serait évaluable et quantifiable en permanence. Et où l'enseignant serait réduit à un rôle de technicien, loin de son rôle de concepteur d’apprentissages adaptés aux besoins.
Certaines écoles sont les cibles d'expérimentations des protocoles désincarnés tels que ceux proposés par "Agir pour l'école" – une association proche du ministre – en lieu et place d’une pédagogie humaniste prenant en compte la globalité de chaque enfant. L'apprentissage de la lecture y est considéré comme un acte mécanique, réduit à du décodage, et non plus comme une entrée dans la culture de l'écrit. Cette menace d'uniformisation des apprentissages prive les élèves de construire les liens, porteurs de sens, entre les savoirs scolaires et leurs expériences personnelles et collectives, que ce soit à l'école maternelle ou élémentaire, dans les familles, ou au sein des associations complémentaires de l'école et les empêche de développer leur capacité de penser et de créer, accentuant ainsi les inégalités scolaires.
Ce retour à des pratiques archaïques ne répond pas aux attentes de nombreuses familles qui souhaitent que leurs enfants trouvent à l’école des sources d’épanouissement. Celles qui en ont les moyens financiers se tournent alors vers des écoles privées (Montessori ou autre). Ainsi, la vision rétrécie de l’école que propose notre ministre ne peut que creuser les ségrégations scolaires.
Pourtant, à la fin des années 60, alors que la méthode syllabique régnait sans partage, les premières statistiques furent sans appel : un appelé du contingent sur deux était incapable de comprendre un article de presse très simple. Dans les années 70, l'accès généralisé au collège a mis en évidence les limites d'un apprentissage centré sur le décodage et l'impossibilité pour de nombreux élèves de réussir leur scolarité secondaire. Tout en prétendant lutter contre les inégalités et inclure tous les élèves, n'est-ce pas là ce que le ministre prend le risque de réserver aux élèves de l'école publique et particulièrement à ceux dont la culture familiale est éloignée de celle de l’école ? Les évaluations internationales ont pourtant déjà alerté sur la corrélation entre les inégalités scolaires et les inégalités sociales et sur la difficulté des élèves français non pas à déchiffrer, mais à lire – c’est-à-dire comprendre – des textes écrits.
Choisir maintenant, sous couvert de "modernité", un retour à cette conception des apprentissages, acte le renoncement à l'ambition d'une école émancipatrice pour tous et toutes. Ce programme ministériel s'inscrit dans une vision utilitariste et archaïque de l'école que nous dénonçons.
Les signataires de cette tribune portent l'exigence d'une école dans laquelle des enseignant.es seraient sérieusement formé.es notamment à un enseignement de la lecture efficace et émancipateur, ce qui les conforterait dans leur capacité à opérer, dans la vie quotidienne de chaque classe, les choix pédagogiques et didactiques les plus pertinents et ce, afin de porter l’ambition de former des lecteurs intelligents et critiques permettant la construction d’un citoyen libre et éclairé."
Signataires :
AFEF Association Française des Enseignants de Français
CGT
FCPE
GFEN Groupe Français d’Education Nouvelle
ICEM Institut Coopératif de l'Ecole Moderne
La Ligue de l’Enseignement
SE-UNSA
SGEN-CFDT
SIEN-UNSA
SNPI-FSU
SNUipp-FSU
SUD-Education