Submitted by Claude Beaunis on 08/12/10 – 09:55

Discours prononcé lors de l'ouverture du congrès de Paris, légèrement recontextualisé pour une mise en ligne internationale.

La FIMEM fête son cinquantenaire
 
1957 création de la FIMEM.
Je ne me substituerai pas aux historiens pour écrire l'histoire de la FIMEM. Quelques repères m'ont cependant frappé... Mais commençons par rendre hommage au formidable investigateur « anArchiviste » qu'était Henri Portier, qui nous a quittés cette année. Les travaux qu'il nous lègue, rédigés sous forme d'articles, de listes, de tableaux, à partir d'une collecte systématique de documents réalisée au fil des années, constituera une ressource précieuse pour tous chercheurs.
Nous pouvons dire que déjà dans les années 30 existait un mouvement Freinet international avec des militants sur tous les continents, de Nankin à l'URSS - comprenant la Tchéchénie -, du Congo à la Bulgarie, en Pologne, au Viet Nam, en Argentine, et même en Angleterre et aux Etats Unis. Mais c'est en 1957, il y a cinquante ans, que le Congrès de Nantes vote en même temps la création de la Fédération Internationale des Mouvements d'Ecole Moderne et la Charte de l'enfant qui conduira à la reconnaissance mondiale des Droits de l'Enfant.
Etaient invitées à ce congrès des délégations du monde entier : Europe, Afrique, Extrême orient, Amérique du Sud. Peu se sont en réalité déplacés : pointaient déjà les difficultés que nous ne cesserons de rencontrer. Les uns n'avaient pas leurs vacances scolaires en même temps, d'autres, ceux de l'Est, se sont vu refuser leur visa, ou se verront représenter par leurs syndicats officiels, d'autres ne pouvaient recueillir l'argent nécessaire pour financer leur trajet. La solidarité est immédiatement devenue indispensable lorsqu'on a voulu organiser des rencontres internationales.
Dès 1958, l'année où se tient le congrès de Paris, le premier congrès de la FIMEM, étranger pour nous, se déroule à Bruxelles, où nos amis belges relancent la « Gerbe internationale » en contactant les délégations de 38 pays répartis dans le monde entier. La même année, « L'Educateur » se présente toujours comme la revue de l'ICEM, mais sous le bandeau général « Fédération Internationale des Mouvements d'Ecole Moderne ». L'enthousiasme est partagé, on ne prépare plus de simples « réunions internationales » durant les congrès qui suivront, mais toute rencontre justifie l'invitation de délégués FIMEM, lesquels viennent de Belgique, d'Allemagne, du Luxembourg, d'Italie ou de Pologne entre autres pays européens, mais aussi du Mexique et du Québec. L'enthousiasme ne s'auréole pas d'illusions pour autant : en 1960 l'UNESCO vient de refuser de reconnaître la fédération et Freinet lors de l'ouverture du congrès d'Avignon déplore optimiste : « Notre FIMEM est bien une réalité. Elle s'épanouira un jour prochain quand les incidences sociales et politiques nous seront plus favorables. » 
 
Un peu de houle sur le parcours.
Pourtant, je crois percevoir une certaine inquiétude quand Freinet écrit, manifestement énervé, dans l'Educateur de novembre 58, dans un autre contexte certes, mais ne nous y trompons pas : « Nous laissons grandement ouvert notre mouvement, mais nous nous refusons à supporter la responsabilité de tous les essais maladroits constatés. » Il va même citer en exemple Madame Montessori qui « n'avait pas totalement tort en ne reconnaissant comme ses adeptes que les éducateurs qui, ayant suivi ses cours, étaient en possession d'un diplôme ».
Cela se traduira par la main-mise de l'ICEM sur la FIMEM, une main vécue au fil des ans, un peu trop lourde, quand elle ne sera pas dénoncée comme « impérialiste ».
Pourtant il faudra attendre la RIDEF de Turin en 1982, pour que la Fédération parvienne à s'affranchir de l'hégémonie du mouvement Français, non sans douleur. Ce n'est qu'en 1983 qu'une commission parvient à refaire les statuts de manière à déverrouiller le CA de la FIMEM, jusqu'à cette date réservé de fait aux Français. Il est toujours difficile pour « papa » et « maman » Freinet d'accepter qu'un jour leurs enfants puissent voler de leurs propres ailes. Vont-ils maintenir le cap ? Ne vont-ils pas transformer nos idées ? Respecteront-ils ceux qui se sont battus pour leur liberté contre les fascismes, contre l'obscurantisme religieux ? Une charte est là pour garantir une philosophie à laquelle chacun doit se rallier. Mais une charte, ça vieillit au point de devenir obsolète quand change la réalité politique de la génération qui suit celle qui l'a adoptée.
Sans doute est-il temps, aujourd´hui de se repositionner, quand sont entrées dans la FIMEM, sans débat, des écoles privées s´adressant à une clientèle privilégiée, des écoles sponsorisées par des multinationales, des écoles qui, bien que publiques, mettent à mal les principes que Freinet, profondément ancré dans les valeurs républicaines françaises, ne voulait même pas discuter. Je veux parler de cette laïcité dont la reconnaissance est si difficile, aussi bien dans les pays du sud que dans l´Est post-communiste, voire même ailleurs.
Une commission est chargée de soumettre une nouvelle charte à l'Assemblée générale de Mexico en 2008. Je lui souhaite de représenter au mieux le mouvement international sans perdre de vue la politique et la philosophie qui l'ont engendré, sans renoncer aux idées dans lesquelles se sont retrouvés ceux qui se réclament de Freinet sur les plans pédagogique et politique.
 
Une pédagogie de rupture pour construire l'école populaire.
En 2008 la RIDEF aura donc lieu à Mexico. Une telle ouverture vers le continent américain, après le rassemblement de Saint Louis du Sénégal ne peut que nous réjouir, mais en même temps, de telles rencontres dissuadent par leur coût, les plus démunis.
Elles nous réjouissent parce qu'elles sont l'occasion pour ces pays, par des rassemblements d'ampleur internationale, de se faire reconnaître et de toucher un maximum d'enseignants en rupture avec l'enseignement dominant. Elles nous réjouissent parce qu'elles permettent la mise en place de structures d'accueil permanentes qui prolongent la dynamique initiée dans les rencontres internationales. Elles nous réjouissent parce qu'elles sont suivies de contacts entre les mouvements du même continent, par des formations, par la constitution de nouveaux groupes.
Mais comment faire se rencontrer Africains, Européens de l'Est et Américains ? Quelle solidarité permettra de prendre en charge des déplacements coûteux. Nos sources de subventions sont toujours organisées sur des axes coloniaux ou néocoloniaux. La FIMEM, en s'ouvrant, a réparti son budget sur un plus grand nombre sans pouvoir l'augmenter. Pourtant il n'y a pas de solidarité si elle ne se fait pas des plus riches vers les plus pauvres.
 
Nous opposer aux projets d'enseignement sponsorisé.
En inaugurant le 14ème Congrès « International » de Paris, Freinet demandait l'ouverture d'une « Année internationale de l'éducation ». Sans doute serions-nous, en 2008, bien inspirés de joindre nos forces à celles des micro forums sociaux issus de Porto Alegre, afin de faire entendre notre voix pour une alternative à l'école de la globalisation, non pas simplement au nom d'un groupe local d'enseignants pratiquant une pédagogie de rupture, mais au nom du mouvement qui nous réunit tous et constitue une force internationale, au nom de la FIMEM.
En effet, le modèle que l´Occident propage dans le monde entier comme l´idéal de demain nous semble venir aussi, comme dans un miroir déformant, coulé par nos multinationales, des pays du sud, de ceux-là même que nous avons exploités et colonisés. Plus que la privatisation des éducations nationales, il nous faut craindre désormais la marchandisation de l´éducation à travers les projets d'établissement «clés en mains» ou la vente de «produits et de services pédagogiques » aux systèmes d´enseignement publics. Des « produits » fabriqués de façon uniforme et à grande échelle (il n´est besoin que de les traduire dans la langue du client) constituent désormais un des plus fabuleux marchés, en premier lieu dans le domaine informatique. Mais ces multinationales savent aussi que pour vider d'un lycée de centre ville, les enfants des milieux moins favorisés, il suffit de subventionner des projets d'établissements faisant intervenir des langues rares ou qui relèvent exagérément le niveau en sciences physiques, en faisant appel à des enseignants de l'université pour les encadrer.
En échange de conditions privilégiées, d´exemption fiscale, souvent par l´intermédiaire d'Organisations Non Gouvernementales, des multinationales financent ça et là l´école des pauvres, retirant quelques enfants de la rue et de la violence engendrée par le narcotrafic. Ensuite, grâce à un « marketing » compétent, ces quelques îlots éducatifs peuvent donner l´illusion qu´il est possible d´alléger l´Etat de ses obligations vis-à-vis d´un enseignement public et universel de qualité. Un pas de plus vers l´Etat minimum, credo majeur du néolibéralisme.
Ne nous y trompons pas, ce débat est à nos frontières, où sa mise en œuvre a déjà commencé. Le débat n´est donc plus entre « public » et « privé », mais autour des multiples formes de privatisation que le marché ne cesse d´engendrer. La pédagogie Freinet ne saurait être confondue avec la « pédagogie de projet » telle qu'elle s'implante au niveau mondial. Pédagogues en rupture, ne nous laissons pas séduire par des majorettes.
 
Constituer une force en organisant un réseau.
Mon ambition, dans le temps très court qui m'est donné de présider cette fédération internationale serait que cette « Internationale de l'éducation » qu'est la FIMEM aille au-delà de la simple correspondance interclasses pour se constituer en réseau. Que nous parvenions à dépasser enfin nos dissensions pour réellement travailler ensemble afin de retrouver, dans l'esprit au moins, la démarche de 1957 qui consistait à vouloir une Fédération de Mouvements. Savoir que nous nous battons, aujourd'hui, exactement contre les mêmes politiques, devrait nous permettre de nous unir. Que nous parvenions, grâce aux moyens modernes qui nous sont offerts – Je veux parler du portail www.fimem-freinet.org -, non seulement à communiquer, mais également à travailler ensemble dans des laboratoires internationaux. Des laboratoires pour produire ensemble, coopérativement, une documentation sûre afin d'aider ceux qui démarrent. Des laboratoires pour confronter nos expériences réalisées dans des milieux différents. Des laboratoires de recherche pour continuer l'oeuvre de Freinet de lutte contre un libéralisme qui voudrait conformer l'éducation à ses besoins.
Nous avons aussi besoin de nous construire une histoire commune en rassemblant nos archives. Plusieurs de nos compagnons de route nous ont quittés, emportant avec eux une partie de notre mémoire commune. C'est un patrimoine qui disparaît. Le CA de la FIMEM renouvelle son appel : que ce cinquantenaire soit un prétexte pour rassembler en un lieu si possible unique, sécurisé, dépendant d'une institution et non d'un organisme, privé ou soumis à une politique, un lieu aisément accessible aux chercheurs. Rassemblons nos notes, nos journaux, témoignages d'adultes ou d'enfants. N'abandonnez pas ces trésors aux souris. Le portail de la FIMEM, associé à celui de l'ICEM, s'engage à présenter un maximum des documents que vous nous aurez confiés : ils seront scannés avant dépôt dans des Archives.
Mais nous avons également une dernière ambition, pas si éloignée de la déclaration des origines, celle de faire revenir les élèves comme auteurs dans les publications de l'Ecole Moderne. Les productions des enfants, des jeunes ne doivent pas seulement figurer pour illustrer nos thèses, comme pour valoriser notre narcissisme. Le même portail de la FIMEM leur offre un espace de communication autant que de travail, de réflexion autant que de création, dans les Classes Virtuelles Coopératives, lesquelles sont directement liées au laboratoires évoqués précédemment et aux publications d'ordre pédagogique ou documentaire.
 
Et puis, pendant qu'on y est... si on faisait ensemble un rêve absurde, une utopie de cinquantenaire : et si on doublait la FIMEM d'une FIJEM, une Fédération des Jeunes de l'Ecole Moderne ?
Merci aux organisateurs du Congrès ainsi qu'à l'ICEM, au nom du CA, de nous avoir accordé un temps de parole pour l'ouverture de ce 48ème congrès.
Michel Mulat
Président de la FIMEM
Paris, le 17 août 2007
Deux annonces ont été ajoutées :
1- Allez voir l'exposition réalisée par François Perdrial à l'occasion du Cinquantenaire de la FIMEM
2- A partir de septembre seront ouvertes les inscriptions pour la prochaine RIDEF de Mexico (été 2008), il sera aussi fait appel à chacun pour une contribution à la solidarité indispensable pour que ne soient pas laissés sur le bord de la route nos amis africains ou des Pays de l'Europe de l'Est les plus défavorisés.